Sunday 25 February 2018
Le lancement par Deutsche Grammophon du premier disque des frères Jussen, voici quelques années, avait tenu de la grosse opération de marketing. Mais avec le temps, il serait erroné de résumer le parcours du duo néerlandais à un simple produit de consommation. La géométrie du programme est très particulière, les laissant aussi s’exprimer individuellement, chacun à sa manière. Lucas, en sorte d’Eusébius, nous gratifie d’un superbe op. 62 de Chopin, deux sublimes nocturnes pudiquement timbrés, alors qu’en Florestan, Arthur, moteur rythmique du tandem, livre une version libérée de l’opus 41 de Kapustin, une série de variations très jazzy basée sur le thème liminaire du Sacre du printemps de Stravinsky. Mais c’est incontestablement à quatre mains que les artistes s’épanouissent pleinement par le mariage de l’eau et du feu. Détail important : contrairement à l’immense majorité des pianistes duettistes, les frères bataves se passent de manière libératoire de toute partition, ce qui donne un aspect spectaculaire (clusters, jeu dans le coffre, touches bloquées…) à la terrifiante Night – probable allusion au « vrai-faux » coup d’état militaire manqué en 2016 en Turquie – composée pour eux par Fazil Say. Mais le duo est capable, au-delà du show, d’une grande intériorité dans la célébrissime Fantaisie en fa mineur de Schubert : c’est ici une narration fantastique ponctuée par un magistral fugato final, patiemment amené et intelligemment construit. Les bis se partagent entre malice (Jeux d’enfants de Bizet) et intériorité recueillie (transcription de la Sinfonia de la cantate Actus Tragicus de Bach)